Séminaire. La privatisation de l'éducation en Afrique francophone

Le 28 juin à Dakar s’est tenu le séminaire « La privatisation de l’éducation en Afrique francophone : état des lieux », organisé par le Réseau de Recherche Francophone sur la Privatisation de l'Éducation (ReFPE). Le séminaire a été l’occasion de présenter et échanger autour des recherches menées sur la Privatisation de l’éducation dans cinq pays d’Afrique francophone par le ReFPE en partenariat avec la CONFEMEN et le PASEC et avec l’appui de l'Open Society Initiative For West Africa (OSIWA).

Les recherches démontrent de manière générale, dans les cinq pays (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Maroc, Niger et Togo), une tendance à la privatisation de l’éducation au cours de l’histoire, après les indépendances, avec des variations selon les contextes nationaux et les niveaux d’enseignements.

Deux niveaux d’enseignement ont montré une évolution particulièrement significative du privé : le préscolaire et le secondaire. Ces tendances renvoient aux questions de la massification de l’éducation, de la pression démographique croissante et de la priorité souvent accordée à l’enseignement primaire public aux dépens des autres niveaux.

Les travaux constatent également que l’offre privée n’est pas équivalente à l’offre publique en termes d’infrastructures, de profils des enseignant.e.s et de statuts sociaux des élèves. Dans le privé, les élèves appartiennent aux classes sociales plus aisées, causant des inégalités importantes.

L’État semble avoir favorisé le développement du privé à travers ses propres législations. La question de la régulation est un défi important dans tous les contextes analysés. Il est nécessaire de comprendre comment l’État peut se donner les moyens de contrôler l’offre privée.

Les analyses révèlent l’écart en faveur du privé dans la performance des élèves en langue, lecture et mathématiques et la meilleure dotation des infrastructures privées par rapport à celles du public en termes d’électricité et d’équipements dans l’enseignement primaire en Afrique subsaharienne francophone. Le niveau socio-économique des parents qui inscrivent leurs enfants dans le privé, s’avère plus élevé. Ces comparaisons montrent clairement le risque de reproduction des inégalités engendrées par le phénomène de privatisation dans les pays cibles.

L’atelier a également permis de constater que l'éducation devient de plus en plus un secteur lucratif qui génère beaucoup d’argent. Le développement de l’enseignement privé risque de créer un système éducatif à deux vitesses et engendrer des inégalités encore plus marquées au niveau social et économique. 

La régulation de l’État sur l’expansion du privé reste fondamentale, car un grand nombre d’établissements scolaires ne sont pas recensés et n’apparaissent pas dans les données officielles. Il est difficile d’étudier la qualité de ces écoles, spécialement les écoles communautaires dans les zones rurales ou les écoles laïques situées en zones périphériques des villes. Il est nécessaire d'accroître le contrôle sur les conditions des enseignant.e.s dans le privé, notamment car certains établissements n'assurent pas des emplois décents, ne déclarent pas les enseignant.e.s aux caisses sociales et n'offrent pas les mêmes possibilités de carrière professionnelle que dans le public.

 

La privatisation de l’éducation est un sujet d’importance capitale en raison de la nécessité d’assurer une éducation inclusive, équitable et de qualité, et du fait de la croissante demande d’éducation dans le cadre de l’ODD4. De surcroît, ces réflexions s’inscrivent dans l’effort de promouvoir une éducation innovante et transformatrice, comme indiqué dans le nouveau rapport de l’UNESCO sur Les futurs de l’éducation et dans les documents préparatoires du Pré-sommet sur la transformation de l’éducation
Hilaire HOUNKPODOTÉ, Coordinateur du Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs (PASEC) au sein de la CONFEMEN

Des intervenants ont souligné l’importance d’assurer une priorité à la mise en œuvre d’une réglementation étatique plus stricte en matière de curriculum et de langue d’enseignement dans les écoles publiques elles-mêmes. 

Les données analysées se basant sur des chiffres officiels, il n’a pas été possible de montrer les interdépendances qui existent entre le public et le privé, là où les enseignants sont par exemple recrutés dans le public et rémunérés par celui-ci, mais travaillent en même temps dans des écoles privées. La complexité de ce phénomène nécessite d’améliorer la disponibilité des données, à collecter non seulement sur une base quantitative, mais aussi qualitative.

L’importance d’assurer l’accès à des données de qualité

La question de l’accès à des données de qualité mérite une attention spécifique. En effet, de nombreuses difficultés ont été rencontrées dans les enquêtes. Dans les cinq pays de recherche, il a été presque impossible d’accéder à des bases de données statistiques officielles. La plupart de ces études se sont basées sur des annuaires statistiques, là où les données sont souvent agrégées et ne permettent pas une analyse fine. 

La qualité des données disponibles est également un grand défi. Les informations concernant les établissements scolaires privés ne sont pas toujours correctement enregistrées. Bien que les dnnées quantitatives offrent beaucoup d’informations importantes, lorsqu’elles sont disponibles, celles-ci doivent être complétées par des recherches qualitatives afin de saisir l’ensemble des enjeux relatifs à la privatisation de l’éducation. L’accès à des données de qualité doit être renforcé afin de mieux comprendre la réalité du terrain et d’envisager les réformes et les mesures nécessaires pour assurer la promotion d’une éducation de qualité pour tou.te.s.

Le Séminaire de Dakar a permis un moment important de réflexion et de rencontre entre différents acteurs impliqués dans le domaine de l’éducation et intéressés aux enjeux liés à l’engagement du privé. 

La journée de mobilisation contre la marchandisation de l’éducation aura lieu le 22 septembre 2022 et aura pour objectif d’interpeller les décideurs sur la nécessité de non seulement réguler les acteurs privés dans l’éducation, mais aussi de promouvoir l’accès à une éducation publique de qualité et accessible à tou.te.s.

L’engagement du privé en éducation est complexe et caractérisé par beaucoup de contradictions. Le Séminaire de Dakar a été nécessaire pour dresser un état des lieux dans certains pays d’Afrique francophone et réfléchir sur les défis qui pourraient faire l’objet de futures recherches et actions.

Les recherches seront prochainement disponibles. 

Compte rendu du séminaire dans son intégralité