Interview : l'éducation en Haïti

Mona Bernadel, secrétaire des affaires juridiques auprès du syndicat d'enseignants haïtiens, l'UNNOH. 

Quels sont les principaux obstacles rencontrés par les enseignants dans le système éducatif public en Haïti ?

L’Etat ne possède que 10 à 15% des écoles, ce qui signifie que l’éducation est majoritairement privée dans le pays. Cela entraîne de nombreux problèmes pour les enseignants. Beaucoup n’ont pas reçu de formation initiale et les conditions d’enseignement sont vraiment terribles… pas de matériel, des classes assez pléthoriques. Nous n’avons pas de contrat de travail donc nous sommes à la merci des responsables d’école, et le salaire est misérable. Parfois, nous travaillons deux à trois années sans percevoir de revenus car nous attendons la lettre de nomination puis les arriérés ne sont pas payés. Être sans contrat nous empêche d’obtenir des crédits, même pour le logement. En Haïti, nous percevons le même salaire dès notre entré dans l’enseignement, même après 5 ans, 10 ans ou 15 ans d’expériences. Il n’y a jamais d’augmentation.. 

Nous avons seulement un tableau et un morceau de craie pour enseigner aux élèves.

Quelles sont vos revendications prioritaires pour améliorer la situation ?

Nous avons demandé un salaire de base de 50 000 Gourdes (724 euros) mensuel pour tous les enseignants haïtiens quel que soit le niveau où nous enseignons et une majoration selon le niveau d’ancienneté. Nous avons également demandé l’application d’une grille salariale. Nos recommandations portent surtout sur l’amélioration des conditions enseignantes et notamment le droit à la formation initiale, à un salaire décent et au crédit au logement. Nous demandons davantage d’écoles publiques pour permettre à toutes les haïtiennes et haïtiens de fréquenter l’école. Nous voulons du matériel et un programme adéquat qui permettront d’améliorer la qualité de l’éducation et les conditions d’enseignement.

 

Comme vous l’avez soulignez Haïti connait un déferlement des acteurs privés dans l’éducation, comment expliquez-vous ce phénomène ?

Le privé est là car il y a un besoin. Dans certaines zones l’Etat est quasiment absent, il n’y a pas d’écoles publiques. Or, il faut quand même envoyer les enfants à l’école. Parfois,  des écoles communautaires se développent pour pallier à ce manque mais parfois ce sont des écoles à caractère purement privé que les gens mettent sur pied uniquement pour gagner de l’argent. Conséquences sur la qualité : on emploie n’importe qui pour enseigner et notamment des personnes qui n’ont reçu aucune formation car leur niveau de qualification ne leur permet pas d’exiger un salaire ou des matériaux adéquats. Parfois, nous ne savons même pas ce qu’il se passe dans ces écoles et quel programme y est enseigné.. Comme l’Etat ne possède pas suffisamment d’école, le secteur privé s’accapare ce « marché ».  Nous pouvons utiliser ce terme car il s’agit d’un véritable « marché ». 

Créer une école en Haïti c’est comme avoir une boutique sans se soucier de la qualité de l’éducation et l’Etat ne s’en préoccupe pas. La profession d’enseignants est dévalorisée.

Selon vous quelles peuvent être les solutions à apporter et quelle est la responsabilité de l’Etat en tant que garant d’une éducation gratuite et de qualité face à cette situation ?

La Constitution de la République d’Haïti prévoit que l’éducation est à la charge de l’Etat et des collectivités territoriales. C’est à l’Etat de créer des écoles et de les mettre à la disposition de chaque haïtienne et chaque haïtien. Une personne sans formation ne devrait pas pouvoir créer une école et faire du profit sur le dos de la population.

 

Pourquoi une initiative comme la Réseau contre la marchandisation de l’éducation, qui mobilise la communauté internationale, vous semble essentielle pour protéger l’éducation contre les abus du secteur privé ?

Créer une coalition internationale est très bénéfique, également pour notre pays, car cela montre qu’il s’agit d’un problème global, qui ne concerne pas qu’Haïti et que nous ne sommes pas seuls dans la lutte. Cela permet de s’unir pour porter une seule voix et mener le plaidoyer à un niveau plus important. Nous devons rappeler à l’Etat ses responsabilités.

 

Si vous avez un message à adresser au gouvernement français quel serait-il ?

Il est important que la société civile et les syndicats  du pays soient consultés et participent à tous les niveaux de décisions pour la mise en œuvre des projets soutenus par la France et sur la façon dont l’aide de la France à l’éducation est répartie dans le pays. Il appartient également aux Etats donateurs comme la France de vérifier que cette aide ne soit pas détournée  à d’autres faits. Si la société civile est impliquée cela permettrait de travailler ensemble avec le gouvernement français pour veiller à ce que l’aide soit investie dans le développement du système éducatif public en Haïti, et pour améliorer la qualité.  L’aide doit être répartie entre l’éducation primaire, secondaire et supérieure. Il n’y a qu’une seule université d’Etat en Haïti. Nous souhaitons davantage d’écoles et d’universités publiques.