Coronavirus : la France aidera-t-elle vraiment à faire redémarrer les écoles du Sud ?

Tribune publiée sur Le Monde.fr

La pandémie du Covid-19 entraîne une crise sans précédent dans l'éducation, avec la fermeture d'écoles dans 191 pays et 1,57 milliard d’apprenant·e·s touché·e·s (Unesco). La Coalition Éducation s’inquiète des engagements qui seront pris par la France dans son aide au développement  et qui seront essentiels pour l'avenir de l'éducation dans le monde. 

Burkina ©Solidarité Laïque

Le risque que l’interruption temporaire de l’apprentissage devienne permanente met en péril l’avenir d‘une génération. Les fermetures d’écoles privent de nombreux enfants et jeunes de l’accès à des services essentiels et ont des impacts psychosociaux importants.

Si tous les apprenants sont touchés, les populations les plus marginalisées sont les plus durement affectées : les filles et jeunes femmes, les familles à faible revenu, apprenants vivant sans parents, dans les milieux ruraux ou sans accès aux soins, les réfugiés, les personnes en situation de handicap.

La combinaison entre crise sanitaire, alimentaire et éducative pourrait avoir des effets dévastateurs sur des générations déjà fragilisées. La continuité du droit à l’éducation constitue un point d’ancrage indispensable au maintien des droits sociaux dans leur ensemble.

Des méthodes d’apprentissage alternatif à distance ont été développées. Elles se révèlent cependant souvent insuffisantes : fracture numérique, parents démunis, manque de formation des enseignants. De plus, des entreprises profitent du contexte alarmant pour proposer des services éducatifs payants à but lucratif au risque d’un accroissement des inégalités et, sur le long terme, d’une forte implication du secteur commercial dans les systèmes d’enseignement faiblement dotés.

Pas à la hauteur des ambitions

Il y a urgence à agir pour renforcer ces services publics éducatifs afin de ne pas alimenter un cercle de la grande pauvreté qui deviendrait fatal par la suite.

Nous saluons les engagements significatifs de la France en faveur de l’éducation dans les pays en développement depuis 2018, y compris sa contribution de 200 millions d’euros au Partenariat mondial pour l’éducation. Toutefois, nous insistons sur l’importance du déséquilibre qui perdure au sein de l’aide à l’éducation et nécessite des efforts renouvelés, d’autant plus importants au regard de la crise actuelle qui ébranle fortement les systèmes éducatifs.

Dans notre nouveau rapport Aide française à l’éducation : des avancées en demi-teinte, nous constatons que l’aide à l’éducation, telle qu’actuellement répartie, n’est pas à la hauteur des ambitions affichées de la France ni de l’importance que nos dirigeants disent accorder dans leurs déclarations à ce secteur public essentiel, tant sur le plan national qu’international.

En 2018, la France a consacré seulement 29 % de son aide à l’éducation aux pays d’Afrique subsaharienne et 5 % aux pays du Sahel qui traversent une crise éducative alarmante. L’appui aux systèmes d’éducation de base ne représente que 16 % de l’aide bilatérale à l’éducation dans les pays d’Afrique subsaharienne et 34 % dans les pays du Sahel.

Soutenir des services publics forts

Et avec une contribution française de 2,3 millions de dollars à Education Cannot Wait (fonds multilatéral dédié à l’éducation dans les contextes de crise) depuis 2016, l’engagement de la France n’est pas à la hauteur des enjeux de l’éducation dans les situations d’urgence et de post-urgence humanitaires. Le rôle de l’éducation est fondamental pour répondre à cette crise mais aussi pour préparer l’après.

La crise rappelle l’importance de soutenir des services publics forts et les liens continus entre l’éducation et la santé, l’hygiène, l’alimentation, l’eau, l’assainissement, la prévention, la protection sociale et de l’enfance, les droits en matière de santé sexuelle et reproductive.

Faut-il rappeler que, si toutes les femmes achevaient le cycle primaire dans le monde, cela induirait une baisse de 49 % du nombre de décès d’enfants, que dans les régions où le taux de transmission est élevé, le risque d’être porteur des parasites du paludisme est inférieur de 36 % chez les enfants dont la mère a été scolarisée dans le secondaire (Unesco).

Afin que l’aide française à l’éducation réponde aux besoins éducatifs fondamentaux et urgents, la France doit allouer davantage de ressources aux systèmes éducatifs fragiles. Ceci, afin de renforcer leur capacité d’anticipation des crises et de résilience et d’éviter les ruptures d’apprentissage pour les populations les plus vulnérables.

Promouvoir des modèles alternatifs

La France doit mettre la priorité sur l’éducation dans les pays d’Afrique subsaharienne et les contextes de crise, y compris à travers une contribution de 40 millions d’euros au fonds Education Cannot Wait qui vise à mobiliser 1,8 milliard de dollars d’ici à 2021 pour atteindre 9 millions d’enfants et de jeunes dans les pays touchés par les crises.

Nous devons penser de façon systémique les crises et l’après-crise. Cela implique d’évaluer en continu, d’analyser les actions et les politiques d’éducation mises en œuvre dans le contexte du Covid-19 et, ce faisant, associer la société civile, les enfants et les jeunes à ce processus.

Il s’agit également de promouvoir des modèles d’apprentissage alternatifs, innovants et efficaces qui permettent d’assurer la continuité d’une l’éducation de qualité, un environnement d’apprentissage protecteur et l’espoir d’un avenir meilleur pour les plus marginalisés pendant et après les situations d’urgence.

Les systèmes éducatifs doivent être construits en anticipation de crises éventuelles (conflits, dérèglement climatique, etc.). D’autre part, une réponse intersectorielle et bien coordonnée avec les acteurs concernés est capitale.

Plus que jamais, le manque d’investissement actuel met en péril des générations entières. Afin de limiter les effets désastreux du Covid-19, la France doit renforcer son aide à l’éducation vers les systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne, prioritairement pour l’éducation de base et dans les contextes de crise et de fragilité où les investissements restent bien en deçà des besoins des populations.