Rapport. L'éducation au Sahel : les “résultats figurent parmi les plus faibles au monde”

Malgré les efforts consentis ces dernières années, via des financements internationaux et surtout domestiques, la crise de l’éducation reste aiguë dans les cinq pays du Sahel francophone - Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad - souligne un rapport publié par la Coalition Éducation.

« Les pays de la zone Sahel sont confrontés à des enjeux démographiques, sécuritaires et migratoires qui pèsent sur les besoins et sur les capacités de leurs systèmes éducatifs, dont les résultats figurent parmi les plus faibles au monde » souligne le rapport. Une situation qui compromet l’avenir de nombreuses générations. En coopération avec les autorités locales, les organisations de la société civile (OSC) tentent de maintenir et renforcer l’accès et la qualité de l'éducation pour toutes et tou, un des principaux leviers pour préserver ou rétablir la paix.

Intitulé « Relever les défis de l’éducation dans un Sahel en crise » ce rapport montre l’impact des crises sur le système éducatif au Sahel et les enjeux de l’éducation dans ces contextes, et analyse les actions menées par les OSC. Dans ces pays, l’objectif de la scolarisation universelle et de la qualité de l’éducation reste un défi majeur. Pour les 82 OSC interrogées, « il ne s’agit pas d’attendre que la situation soit stabilisée pour mobiliser des fonds » pour l’éducation. Attaques contre les écoles, personnels enseignants menacés, violence : ces contextes mettent en péril l’avenir des enfants.

Au Burkina Faso, Mali et Niger 2 000 écoles fermées à cause de l'insécurité

Les enfants et les jeunes sont les premières victimes des crises. Les conflits augmentent le taux d’abandon des élèves et l’absentéisme des enseignant·e·s. Le déplacement de populations entraîne la fermeture des écoles dans les zones affectées. Au Burkina Faso, Mali et Niger 2 000 écoles ont été fermées depuis deux ans à cause de l'insécurité (UNICEF)« Dans les régions qui accueillent des personnes déplacées, ou que celles-ci traversent, les écoles sont converties en lieux de coordination des secours et se retrouvent ainsi envahies. Cela a été le cas dans les régions du sud du Mali en 2012. » indique le rapport. « Les enseignant·e·s reçoivent des menaces ou sont attaqué·e·s physiquement. Des tels faits ont été rapportés au Burkina Faso, en particulier pendant l’année scolaire 2017-2018. Ils sont révélateurs de l’instrumentalisation dont est victime l’école en contexte de conflit »

Les conflits creusent également les inégalités dans la région. Les impacts sur les filles sont démultipliés dans les zones insécurisées. « Au Niger, 54% des filles ne vont pas à l’école contre 46% des garçons (ISU). [..] Les contextes socio-économiques favorisent les mariages précoces ou l’implication des filles dans les travaux ménagers. [..] Dans la région la plus affectée par le conflit du pays, le taux de mariages d’enfants est le plus élevé du monde avec 89% des filles mariées . »

Au delà de ces crises, « la pression démographique pèse fortement sur les finances publiques  » des États concernés. « Le Sahel, est caractérisé par l’extrême jeunesse de sa population. [...] Le seul objectif de maintenir le taux de scolarisation au niveau actuel, implique un effort gigantesque, hors de portée des seuls budgets africains. Les cinq pays sahéliens restent encore très éloignés de l’objectif de scolarisation primaire universelle » indique le rapport. Au Tchad « 62% des enfants ne sont pas scolarisés. »

Dans la zone Sahel, les freins à une éducation de qualité sont nombreux : « les enseignant·e·s du primaire sont insuffisamment formé·e·s, leur recrutement effectué parfois sans vérification des compétences de bases, les ressources pédagogiques inexistantes, insuffisantes ou inadéquates, et l’encadrement de proximité s’avère de très faible qualité. » Les crises impactent fortement les performances scolaires « Au Tchad et au Niger, en fin de scolarité primaire, plus de 85% des élèves n’atteignent pas le seuil des compétences suffisantes ».

Les langues d’apprentissage officielles dans les écoles représentent également un obstacle considérable à l’acquisition des savoirs fondamentaux dans la région, particulièrement en Mauritanie. «  Lorsque la langue utilisée à l’école n’est pas la première langue parlée par les enfants, le risque de déscolarisation ou d’échec dans les petites classes est plus élevé, de même au niveau primaire. »

Dans ces contextes de crise au Sahel, la régulation des acteurs privés dans l’éducation est inexistante voire très faible, entraînant des dérives en matière de qualité, nuisant au bon fonctionnement des systèmes éducatifs publics, et renforçant les discriminations. Certains frais d’admission s’élèvent jusqu’au quart du salaire mensuel moyen. En Mauritanie, « La croissance des acteurs privés dans le système éducatif (…) contribue à créer une fracture importante (…) en fonction du revenu des ménages”,

Les OSC agissent dans ce Sahel instable pour assurer le droit à l’éducation

L’éducation est un droit humain, que les autorités nationales et la communauté internationale ont le devoir de respecter, protéger et satisfaire, y compris dans les situations d’urgence et de crise. Les organisations de la société civile agissent, avec les autorités locales, pour pallier les manques dans ce Sahel instable en matière d’éducation. Elles rencontrent de nombreux défis : la collecte des informations, l’insécurité, le manque de financement notamment pour les organisations locales, la faible coordination au niveau local, l’insuffisance d’implication des acteurs locaux, la difficulté de mettre en œuvre des approches prenant en compte les vulnérabilités et le genre. « Au Sahel, l’insécurité est vécue comme une « normalité » par les acteurs de l’éducation » indique le rapport, ce qui fait perdurer les réponses initialement temporaires.

Le rapport identifie une série d’initiatives et d’approches efficaces mises en œuvre au Sahel en matière d’éducation. Dans leur grande majorité, les OSC visent l'intégration ou la réintégration des enfants et des jeunes dans le système éducatif formel, notamment à travers des programmes d’éducation accélérée, l’apport d’un soutien psycho-social, la réhabilitation des écoles, la protection des enfants et des enseignant-e-s, le renforcement de capacités des personnels éducatifs, la prise en compte des vulnérabilités et la promotion de l’égalité de genre dans l’éducation, l’éducation à la citoyenneté pour la paix. L’objectif est d’accompagner l’enfant et sa famille dans la reprise d’une scolarité normalisée au sein d’un système bouleversé par les crises.

Selon le fonds Education Cannot Wait « les investissements développement [qui s’inscrivent dans la durée] ne sont souvent pas disponibles ou ne sont pas conçus pour faire face à [des besoins soudains]. Alors que les investissements humanitaires [conçus pour répondre aux situations d’urgence] sont extrêmement faibles en matière d’éducation. [...] Dans le financement de l’éducation en situations de crise et d’urgence, il est crucial d’améliorer les liens entre le développement et les actions humanitaires et les différents acteurs grâce à des mécanismes de coordination ». Il ne faut pas attendre que la situation soit stabilisée pour mobiliser des fonds pour le développement éducatif. 

Pour répondre de manière adaptée à la crise éducative dans la zone du Sahel, la Coalition Éducation appelle la communauté internationale à renforcer les efforts déployés dans la région, selon 3 axes  :

  • Améliorer la qualité des interventions en situations de crise au Sahel
  • Renforcer la coopération et la coordination avec les parties prenantes de l’éducation au Sahel
  • Assurer des financements suffisants et adaptés à la situation de l’éducation au Sahel

Lire les recommandations de la Coalition Éducation pour renforcer l’aide à l’éducation au Sahel.